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La fin des restos Tero : un modèle trop vertueux pour un secteur trop vulnérable ?

Dernière mise à jour : il y a 4 jours

En annonçant ce mercredi la fermeture de son enseigne bruxelloise, le groupe multiservice belge Tero abandonne l’un de ses fondamentaux, la restauration durable et locale portée par la philosophie « farm-to-fork». Ce second arrêt, après celui de Tero Bierges l’année passée, marque une inflexion stratégique et soulève des questions sur la faisabilité même de ce modèle vertueux dans l’horeca.

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« Après plus de 8 années d’existence, nous avons pris la décision difficile de fermer notre restaurant et le dernier service aura lieu le 19 décembre ». Face caméra, au milieu des tables de l’établissement bruxellois, dans un message empli de gratitude et d’émotions, Arthur Lhoist, co-fondateur du groupe Tero, tenait à réagir de vive voix à la « fin d’un fantastique chapitre ». En cédant prochainement à d’autres porteurs de projet le 1 rue Saint-Bernard à Saint-Gilles, l’entreprise n'abandonne pas pour autant l'horeca. Elle se départit d'un concept bien spécifique de restauration mais exploite toujours le Bistro Pilko à Waterloo, le Bistro 17 de Luxembourg et le célèbre bar-restaurant Knokke Out.


« Tero Bruxelles n’a jamais été qu’un simple restaurant. C’est ici que les valeurs du groupe ont pris forme : durabilité, convivialité et porteuses d’énormément de sens », remémore le co-fondateur dans sa courte vidéo circonstanciée. « Des valeurs qui aujourd’hui se transposent sur d’autres activités du groupe, que ça soit dans nos fermes, nos boucheries, notre traiteur, sur nos événements ou dans tous nos lieux événementiels à travers la Belgique et le Luxembourg ».


Car cette fermeture ne constituerait que « la transformation d’un cycle qui se poursuit différemment ». L'entreprise familiale, dont la vision long terme repose sur Arthur, Chief Impact Officer, et Nicolas, CEO sortant et futur Executive Chairman, réaffirme ses engagements dans des développements stratégiques.


Les frères Lhoist revendiquent tout un « écosystème Tero » qui se désengage certes de certains restaurants mais manifestement pour mieux se concentrer sur quatre autres pôles : les events, avec organisations sur mesure et expériences de teambuilding ; les venues, regroupant des « lieux d’exception » de Knokke à Luxembourg ; le food, avec la filière Teroir et le catering ; et enfin les sports, mêlant infrastructures, académies, etc.


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Savoir renoncer est une marque de responsabilité


Un communiqué de presse avait précédé de quelques heures l'intervention d'Arthur Lhoist, futur ex-managing director des restos Tero. Une annonce dont les éléments de langage s'articulaient principalement autour des valeurs et de la continuité du groupe. Mais, en attendant d'en discuter à tête reposée avec les principaux concernés, loin du bruit médiatique et dépassionné de ce qui laisserait croire à un aveu d’échec, tentons de lire entre les lignes afin de cerner les réalités économiques, stratégiques ou opérationnelles.


« Fermer Tero Bruxelles, c’est assumer notre responsabilité d’entreprise face aux changements de société », a exprimé dans la communication aux médias Arthur Lhoist. Dans tout projet entrepreneurial, il y a des choix qui réussissent et d'autres qui enseignent. L'échec n’est pas une faute, c’est une étape du chemin. Tout dépend de ce qu’on en fait. Chaque fermeture peut être le terreau d’une évolution plus durable.


Cela étant dit, Tero s’était montré plus pragmatique en motivant la fermeture de son restaurant de Bierges en juillet 2024. Le groupe avait alors reconnu clairement que le choc de la crise sanitaire avait profondément bouleversé la rentabilité du secteur. Aucune mention explicite d’éventuelles séquelles de la pandémie cette fois pour le Tero de Bruxelles. Alors que les conditions de marché pourraient constituer une cause majeure (réorientation des consommations, baisse des fréquentations, instabilité sectorielle, etc). Naturellement, d’autres restaurants sont parvenus à redresser la barre contre toute attente et nourrir l'espoir d'une embellie sectorielle à moyen terme.


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Obstacles et défis structurels


« Dans un contexte horeca exigeant, Tero choisit la cohérence plutôt que les compromis, afin de concentrer son énergie là où son impact est le plus fort », relativise sans plus de détail l’annonce concernant la fermeture de l’adresse saint-gilloise. À Bierges, la fidélité des clients et la qualité de l'offre ne suffisaient plus à équilibrer les comptes. Cette même tension économique a plausiblement dû influencer le sort du dernier restaurant.


À cela s’ajoute une problématique généralisée dans le secteur horeca post-Covid : les difficultés liées au personnel, qu’il s’agisse du recrutement ou de la rétention. Sans omettre le coût du travail en Belgique. Ces facteurs, bien qu’ils n’aient pas été abordés, n’ont-ils pas affecté Tero Bruxelles et pesé sur la décision ?


Lors de la fermeture de l’établissement du Brabant-wallon, le restaurant de la capitale était présenté comme la priorité stratégique du groupe Tero. La localisation désormais contreproductive pour Tero Bierges, dans le zoning de Wavre, était à l’époque mise en contraste avec l’emplacement prisé de Tero Bruxelles, à un jet de pierre de l’avenue Louise.  Mais, bien qu’animé, ce quartier n’a-t-il pas été touché par une mutation du trafic urbain, des loyers élevés, une baisse d’affluence ?


Sans compter un aspect déterminant : à Bruxelles, la densité horeca atteint des sommets : 31,8 établissements par km², un des taux les plus élevés parmi les capitales européennes. Si cette concentration reflète une tradition culinaire bien ancrée, elle souligne également la fragmentation extrême du marché belge. Une multitude d’acteurs se disputent la clientèle dans un espace restreint.


Et voilà qu’un an plus tard, l’enseigne bruxelloise va disparaître à son tour. Un faux fait-divers qui ouvre la réflexion stratégique sur une interrogation plus globale : le modèle des restos Tero n’est-il plus soutenable, dans aucune configuration ?



Trop laborieux le modèle « farm-to-fork » ?


Les fermetures successives ne sont pas des accidents isolés. Elles semblent souligner les défis structurels et les contraintes de rentabilité qui pèsent sur un restaurant en général, et sur un restaurant qui suit l’ambitieux modèle « farm-to-fork » en particulier. Cette philosophie de la fourche à la fourchette transposée à la logistique repose sur l'utilisation de produits des fermes du groupe (Teroir), un approvisionnement local et de saison, et une main-d'œuvre qualifiée pour une cuisine sophistiquée. Énoncé de la sorte, le modèle semble impliquer de base des coûts fixes mais aussi variables supérieurs à ceux de la restauration standard.


Tero se devait donc d’au moins compenser ces coûts par des volumes augmentés par rapport à la normale ou des prix de vente majorés, à l’instar d’un gastronomique étoilé. Bien que vertueux, cette structure apparaît théoriquement coûteuse et potentiellement difficile à maintenir, notamment en ville. On imagine que le ticket moyen peut ne pas suffire à absorber les charges (loyer à Bruxelles, salaires, matières premières locales et bio).


Et le pivot opéré stratégiquement par le groupe, même s’il ne le formule pas explicitement de la sorte, se recentre sur des modèles B2B, événementiels ou multiservices, plus « scalables » et rentables que la restauration traditionnelle, avec des activités à marge plus élevée où les prix et/ou les volumes pratiqués parviennent à contrebalancer les surcoûts qualitatifs (local, bio, maison, etc.).


Quand le communiqué souligne que « l’expérience vécue à Bruxelles a nourri l’ensemble de l’écosystème Tero », l’aventure du restaurant n’a pas été vaine car elle a effectivement servi de laboratoire, mais aussi de lieu de rendez-vous, de rayonnement, pour établir la marque et ses valeurs. Un rôle terminé, peut-être jugé trop risqué et trop coûteux, laissant objectivement la place à de meilleures opportunités de croissance.



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