À 68 ans, Colmar s’impose un lifting à 7 millions d’euros pour attirer les jeunes
- François Remy

- il y a 3 jours
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Face au déclin de sa clientèle historique et à la concurrence accrue sur le segment du fast casual, le groupe belge de la « restauration décontractée » a officialisé son plan de relance triennal (2025-2027) grâce à une réalisation visible : le premier Colmar Restaurant & Buffet de Belgique a ouvert ses portes à Oostakker. Ravalement de façade très superficiel ou refonte structurelle aussi profonde qu'ambitieuse ?

« Le relancement n'est pas un simple restylage cosmétique, mais une transformation intégrale de la marque, du concept et de l'expérience ». En s'empressant de préciser dès les premiers mots de son communiqué ce que le projet n'est pas, à savoir un simple ravalement de façade, Colmar semble adopter une posture défensive qui résonne comme un aveu implicite : le dévoilement du nouveau concept cache une nécessité impérieuse, la continuité d'une marque vieillissante. Ou d’une marque historique à la clientèle qui se dégarnit...
Malgré un chiffre d'affaires de près de 35 millions d'euros lors du dernier exercice, Colmar SA a creusé ses pertes pour la troisième année consécutive. Cette fois au-delà du million d'euros. Le consortium a dû fermer son restaurant d'Aartselaar en mars dernier, suivi du Crocodile de Massy en avril. Des décisions qui s’imposaient dans le cadre de la restructuration stratégique des activités. Restructuration qui a pour premier objectif d'optimiser l'exploitation et ainsi parvenir à améliorer les performances financières.
Le conseil d’administration ne s’inquiète pas de la santé financière de l’entreprise, dont il estime les capitaux propres solidement constitués, la liquidité suffisante et le portefeuille immobilier important, mobilisable si besoin. Cependant, les administrateurs conviennent que la direction se préoccupe des évolutions négatives de ces dernières années, « notamment après la crise du coronavirus et les changements d'habitudes dans le secteur de l'hôtellerie et de la restauration, auxquels le Groupe Colmar n'a pas suffisamment réagi. »
Sous la houlette de son nouveau patron depuis cette année, David Van den Weghe, l’entreprise familiale injectera donc sur trois ans 7 millions d’euros pour moderniser son parc de 20 restaurants. Mais, avec une enveloppe moyenne de 350.000 euros par site, la marge de manœuvre réelle permet-elle autre chose qu’un relooking décoratif ?
Un impératif de rajeunissement
L'enseigne, fondée en 1957, opère 5 sites sous la marque Colmar en Belgique et 15 sous la marque Crocodile en France. Malgré un volume annuel de 1,5 million de clients, le modèle historique de « buffet à volonté » avait certainement besoin d’une révision pour capter la clientèle des milléniaux et des jeunes familles, dont les habitudes de consommation ont aussi fortement évolué depuis la pandémie. Certes, avec l'arrivée de David Van den Weghe, 3e génération au sein du groupe familial, le marché pouvait s’attendre à un mandat de transformation, selon l’adage populaire du « nouveau chef, nouvelle stratégie ». « En tant que CEO, mon ambition est de rendre nos atouts encore plus visibles et tangibles. Nous renforçons le lien avec nos clients, donnons encore plus de vie à notre promesse de qualité et d'hospitalité, et modernisons notre présentation ainsi que notre communication », estime le principal intéressé.
Les réouvertures des sites d'Oostakker (Gand) ce 4 décembre et d'Anvers le 17 décembre prochain servent dès lors de vitrine. L’opération de revamping dépasserait les retouches sur le look and feel et comprendrait un vrai repositionnement, avec une modernisation du parcours client (design, fluidité) pour gommer l'image de « cantine du train train quotidien » qui pouvait lui coller à l’enseigne.
Optimisation du modèle opérationnel
Sur le plan industriel, le groupe maintient sa stratégie d'intégration verticale, un atout pour la maîtrise de ses coûts. La production reste concentrée sur Audenarde, où le département R&D et la cuisine centrale élaborent et standardisent les recettes pour l'ensemble du réseau franco-belge.
Ce modèle centralisé permet au groupe de garantir une uniformité des produits sur les deux marchés, maintenir des prix compétitifs grâce aux économies d'échelle, essentiels pour préserver son positionnement « accessible ». Et bien sûr, réduire la complexité opérationnelle en restaurant, limitant ainsi l'impact de la pénurie de main-d'œuvre qualifiée en cuisine.
Avec 7 millions d'euros étalés sur deux ans et vingt établissements, le budget semble réaliste pour du rebranding (décoration, mobilier, parcours client) mais peut-être léger pour du structurel. Notons qu’au cours du premier semestre 2025, l'entreprise avait déjà renouvelé l'ensemble des comptoirs réfrigérés des buffets dans tous les restaurants. Forte de son identité familiale, Colmar a aussi pris soin de mettre à jour complète tous les espaces enfants (kidscorners) avec un mobilier mural interactif et un passage par une machine à pinces pour un petit cadeau avant de partir.
Mais parallèlement, avec l'aide notamment du cabinet de stratégie français GIRA spécialiste du marché de la consommation alimentaire hors domicile, le groupe Colmar a réalisé un exercice de repositionnement approfondi, basé sur des enquêtes auprès de la clientèle et des analyses de marché. Est bel et bien mené un travail sur l'alimentation, la structure des menus, la tarification ainsi que l'expérience globale.
« La restauration poursuit sa transformation à une vitesse fulgurante. Une mutation qui paralyse certains… et révèle l’agilité des autres. Aujourd’hui, s’adapter n’est plus une option : c’est une question de survie. Or, le changement n’est jamais naturel ni confortable. David Van den Weghe et Devigné Van den Weghe (COO de Colmar, ndla) ont eu le courage de l’embrasser », a souligné Bernard Boutboul, président de Gira.
« Redonner de la pertinence à l'entreprise »
Dans un marché où le buffet décline, Colmar veut moderniser mais sans réinventer son modèle. Depuis 2024, l'équipe de direction est à pied d’œuvre pour trouver les moyens d'attirer de nouveaux clients tout en regagnant les clients existants. Vouloir cibler à la fois les jeunes, les jeunes couples, les familles, les collègues, tout en restant cohérent pour différentes générations, demeure un défi commercial. En essayant de plaire à tout le monde, on risque de diluer le positionnement. Est-ce que la direction a réussi à établir une vision claire afin de « redonner de la pertinence à l'entreprise », pour reprendre les termes du CA.
« Il est certain qu'un restaurant familial dans le segment de la classe moyenne a une raison d'être sur les marchés flamand et du Nord de la France, et que Colmar/Crocodile peut y parvenir grâce à un repositionnement et à un rajeunissement appropriés », soulignent les administrateurs.
Colmar nouvelle formule opèrerait en douceur une petite montée en gamme, comme laissent penser les allusions au « design moderne », aux nouvelles recettes et aux « plats signature ». Ce qui indiquerait un repositionnement value-for-money plutôt que low-cost, à savoir enrichir (ou à tout le moins retravailler) l’offre pour passer d’une image « cheap » à une image « bon rapport qualité‑prix ».
Compte tenu du capex de rénovation, le plan stratégique privilégie la rentabilité du parc existant plutôt que la croissance externe immédiate. David Van den Weghe a confirmé que toute expansion territoriale ultérieure est conditionnée à la stabilisation et au succès commercial de ce nouveau concept. Le déploiement complet étant attendu pour fin 2027.
La réussite de ce plan dépendra évidemment de la capacité du groupe à convertir ces investissements expérientiels en gains réels : augmentation de la fréquence de visite, attractivité auprès des publics cibles et excellence opérationnelle dans un modèle structurellement exigeant. Les prochains mois, et les rénovations successives en France où le premier Crocodile nouvelle génération a ouvert à Tourcoing en octobre, permettront de mesurer l’impact de cette stratégie.






















