Sodexo vise désormais une « durabilité opérationnelle »
- François Remy

- il y a 2 jours
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Le géant français de la restauration s’est donné une nouvelle feuille de route en matière de responsabilité d’entreprise. Avec « Better Tomorrow 2028 », Sodexo opère un virage stratégique pour transformer les contraintes durables en leviers de performance économique et commerciale.

Santé, sécurité, durabilité. Sodexo promet de nouveaux jours meilleurs. Il n'est pas ici question d'analyser les derniers résultats trimestriels du géant français (qui a prévu un ralentissement de la croissance de son chiffre d'affaires en 2026 en raison de difficultés dans ses activités aux États-Unis). Mais d'évoquer son virage stratégique Better Tomorrow 2028, qui semble clore l'ère de la RSE « périphérique » pour entrer dans celle de la « durabilité opérationnelle ».
Si l'entreprise revendique volontiers son statut de « pionnière » en la matière, avec sa première feuille de route du genre dès 2009, l'enjeu semble bien différent cette fois : il s'agit d'intégrer ces objectifs aux indicateurs de performance quotidiens. Officiellement « pour amplifier l’impact social, sociétal et environnemental de ses activités »et, si on lit entre les lignes de la communication corporate, pour sécuriser les marges et fidéliser les clients.
Au sortir du Covid, le groupe international a engagé une profonde restructuration (avec entre autres la spin-off de Pluxee) afin de redevenir un pure-player de la restauration et des services. Or en 2025, « nous avons atteint la fin d’un cycle au cours duquel nous avons franchi des étapes majeures de transformation, posant ainsi des bases solides pour l’avenir », a affirmé Sophie Bellon, fille du fondateur et présidente du conseil d'administration de Sodexo.
Réussites et nouveaux défis
Ce passage d'étapes a notamment été marqué par l’achèvement de la précédente feuille
de route RSE, Better Tomorrow 2025, initiée neuf ans plus tôt et alignée sur les recommandations des Objectifs de Développement Durable des Nations Unies. Et la plupart des objectifs ont été atteints, comme l'énumère en détail la société française dans son document d’enregistrement universel pour l'exercice 2025. Citons par exemple, pour la dimension des ressources humaines, le taux de fréquence « historiquement bas » des accidents avec arrêt de travail, l'environnement inclusif affichant 42% des cadres dirigeants féminins, le nombre moyen d’heures de formation par collaborateur de 12,4 heures par an (+5,1%), le programme d’avantages sociaux effectif dans plus de 70% des pays où Sodexo opère. Sous l'aspect environnemental, la réduction des émissions de gaz à effet de serre directes et indirectes liées à la consommation d'énergie de l'entreprise (scopes 1 et 2) de -37,7% par rapport à 2017, ou encore les « 99,3% des consommateurs de Sodexo » qui ont eu accès chaque jour à des options favorisant un mode de vie sain.
D'une logique d'engagement à une logique d'exécution
Capitalisant sur ces acquis, la feuille de route BT28 a été pensée comme un plan d'action pragmatique qui balise des avancées mesurables vers une « durabilité business », c’est-à-dire « ancrée dans les réalités opérationnelles, et orientée résultats ». Une démarche qu'il est possible de résumer en un seul effet d’entrainement : mobiliser les 426.000 collaborateurs au service des 27 000 sites clients, pour générer ainsi un impact positif sur la vie de 80 millions de consommateurs... et la planète.
« Aujourd’hui, croître de manière responsable signifie contribuer à un monde plus sûr, plus
sain et plus équitable», insiste Sodexo. Mais la précédente version du plan Better Tomorrow a également mis en lumière des défis récurrents au niveau de la complexité des chaînes d’approvisionnement mondiales, l’importance des données consolidées, et « la nécessité de mieux relier les actions de durabilité aux opérations sur site. »

Et derrière le caractère louable, la stratégie durable doit répondre à d'autres enjeux encore plus terre-à-terre. À l'instar de l'optimisation des ressources dans la conjoncture de marché actuelle. L'objectif de réduire le gaspillage alimentaire d'ici 2028 offre une bonne illustration de cette convergence entre écologie et économie. Rationalisation alimentaire signifie une réduction directe des coûts d'achat de matières premières. De même, la transition vers une offre plus végétale répond aux impératifs climatiques tout en atténuant l'exposition à la volatilité des prix des protéines animales.
Ou à l'instar de la conformité, singulièrement à la réglementation européenne Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) qui impose aux entreprises de divulguer des informations détaillées et fiables sur leurs impacts environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).
La durabilité comme catalyseur de transformation ?
La première année de mise en œuvre de la CSRD coïncide ainsi avec la nouvelle manière pour Sodexo de piloter et communiquer ses engagements en matière de durabilité. Cela dit, l'entreprise n'est pas partie de zéro, et sa trajectoire de longue date en matière de durabilité n'aurait été qu'accélérée par la pression réglementaire.
« Nous avons choisi de considérer la CSRD comme un catalyseur de transformation. Une équipe pluridisciplinaire dédiée a coordonné les efforts entre les fonctions durabilité, finance, contrôle interne et gestion de projet. Notre démarche renforce la comparabilité, fiabilise les données et offre une vision transparente de notre performance », estime Marc Rolland, secrétaire général de Sodexo.
D’un point de vue financier, l’évolution des réglementations climatiques et sociales, les changements dans les attentes des consommateurs vers des régimes alimentaires plus sains, ou encore la croissance liée aux solutions bas carbone, végétales et de réduction des déchets constituent des opportunités mais aussi des risques plus matériels pour Sodexo.
Le groupe a ainsi parfaitement conscience du risque réputationnel et juridique en cas de non-conformité aux réglementations locales croissantes ou de son incapacité à atteindre ses objectifs en matière d’émissions de GES. Sodexo serait susceptible de perdre des marchés en cas d'inaction ou d'attentisme face aux demandes croissantes de ses clients et consommateurs en la matière. Même le marketing se doit d'être (éco-)responsable, comme l'identifie le géant français, car il offre de « nouvelles opportunités de marché et un accès à une base de consommateurs plus large ». Et sur le plan social, les politiques de diversité et de rétention visent moins l'idéal humaniste que la limitation des coûts exorbitants liés au turnover et à la perte d'attractivité de la marque employeur.

« Une culture d'amélioration continue »
Concédons que disposer d'informations extra-financières sur les stratégies et efforts de durabilité des grandes entreprises, nettoyées du vernis purement marketing, est aussi essentiel que de disposer des données comptables. Cela permet de juger de la création de valeur, de la résilience et de la compétitivité d'un acteur économique majeur.
« Construire un cadre de durabilité avec la même rigueur que celui de la finance exige du temps et de la discipline. Cette évolution reflète celle des normes IFRS dans le domaine financier : leur maturation a pris des années, mais elles constituent aujourd’hui un cadre reconnu. En définitive, la CSRD constitue un levier de transparence renforcée », assure Sébastien de Tramasure, directeur financier du groupe Sodexo.
Grand concept pouvant paraître abstrait, recouvrant des dimensions de process, de protocoles, de matériels et d'immatériel, la durabilité en entreprise reste indéniablement complexe. Les industries semblent toutefois de moins en moins la considérer comme une contrainte et davantage l'aborder comme un élément différenciant, un outil de développement opérationnel.
« Nous avons choisi de l’ancrer délibérément dans la réalité opérationnelle de nos régions et pays. Ainsi, la CSRD est à la fois un exercice de conformité et un puissant catalyseur des ambitions que nous avons fixées dans le cadre de Better Tomorrow 2028 », souligne Mouna Fassi Daoudi, directrice de la durabilité du groupe Sodexo. « Elle nous a permis de renforcer nos données et nos systèmes, de mobiliser les fonctions transverses telles que les achats responsables, le climat ou les ressources humaines, et de créer une culture d’amélioration continue. » Reste à voir si cette culture essaimera dans tout le secteur et, surtout, durera.



