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« On va continuer à se battre pour un horeca durable avec des entrepreneurs honnêtes »

Se réinventer ou disparaître ? Rencontre avec Paul Snoeys sur le futur du secteur horeca.
© Gregory Van Gansen/Imagetting
© Gregory Van Gansen/Imagetting

Depuis la crise sanitaire, le secteur flamand de l’horeca est en (très grande) difficulté. L’âge d’or appartient définitivement au passé et les défis s’accumulent. Même Horeca Vlaanderen est convaincue que le nombre d’établissements va encore diminuer. Mais un avenir sans horeca ? Non... Il y aura toujours besoin d’hôtels, et les cafés, restaurants et autres établissements apparentés conservent leur raison d’être. Les entrepreneurs devront se réinventer pour gérer leurs coûts et répondre aux nouveaux besoins des clients. Selon Paul Snoeys, président de la fédération du secteur en Flandre, la mission s’annonce difficile, mais pas impossible. Entretien.

 

GFS : Quels sont les principaux défis auxquels l’horeca est confronté ?


Paul Snoeys : « L’horeca est un secteur particulièrement hétérogène : un café n’a pas grand-chose à voir avec un hôtel, de même qu’un restaurant ne présente pratiquement aucun point commun avec une discothèque, par exemple. Il est donc très difficile de généraliser. Mais tous ces établissements font face à un défi commun : préserver la rentabilité de l’entreprise dans un contexte de plus en plus complexe. Tout part de la forte augmentation du coût des matières premières, du personnel et de l’énergie, combinée à une avalanche de nouvelles normes et règles. Les tarifs ont progressé en moyenne de 3,9% ces dernières années, ce qui est bien supérieur à l’inflation de 2,8%. Sur les cinq dernières années, la hausse atteint même 28% ! Mais ce n’était pas par appât du gain : il s’agissait avant tout de compenser la hausse des coûts. Et même cette hausse ne suffit pas... S’il fallait répercuter tous les coûts qui se sont ajoutés ces dernières années, un grand nombre de clients décrocheraient. »

 

GFS : Ces hausses des prix ont-elles un impact négatif sur le comportement des consommateurs ?


Paul Snoeys : « Sans doute, même si je pense que le comportement des consommateurs est avant tout influencé par la nette augmentation du coût de la vie en général. Aujourd’hui, de plus en plus de consommateurs sont très attentifs à leur budget. Et les sorties au café ou restaurant sont souvent les premiers postes de dépenses sur lesquels ils font des économies. Non seulement les établissements sont moins fréquentés, mais les consommateurs y dépensent moins. Auparavant, on optait souvent pour un menu complet, avec apéritif, accord des vins et pousse-café. Aujourd’hui, on se contente plus volontiers d’un plat principal, d’un verre de vin et d’une bouteille d’eau. Que nos marges soient sous pression n’a donc rien d’étonnant : les coûts augmentent et les revenus baissent. On en arrive ainsi à des situations très tristes : même des établissements qui ont bien tourné pendant des années doivent jeter l’éponge. »

 

GFS : Vous avez également évoqué une hausse des frais de personnel ?


Paul Snoeys : « Les indexations de ces dernières années ont évidemment eu un impact sur les marges. Mais le défi réside moins dans la hausse des charges salariales que dans les difficultés à trouver du personnel de qualité. Ce phénomène n’a évidemment rien de neuf, mais la situation ne s’améliore pas du tout, au contraire. De nombreux travailleurs qui ont quitté le secteur pendant la pandémie ne sont pas revenus : ils ont trouvé un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée dans leur nouvel emploi. En outre, les inscriptions dans les écoles hôtelières ont considérablement diminué. Cette formation est désormais considérée comme un choix par défaut : on ne fait plus l’école hôtelière par passion pour l’horeca. Par conséquent, de nombreux diplômés ne se donnent même pas la peine de chercher un emploi dans le secteur. Ou ils se réorientent très rapidement ailleurs. Nos études montrent que la moitié des diplômés quittent le secteur après seulement deux ans ! »

 

GFS : N’y a-t-il pas d’autres canaux pour trouver du personnel ?


Paul Snoeys : « Le VDAB essaie de nous soutenir, mais les personnes laissent souvent à désirer sur le plan qualitatif. Il faut vouloir travailler dans l’horeca, sans quoi on n’y fait pas long feu. Deux canaux sont cependant intéressants. D’une part, il y a les étudiants qui peuvent souvent combiner facilement un emploi dans notre secteur avec leurs études. De plus, ils sont souvent prêts à travailler dur pour gagner un peu d’argent et financer leurs sorties. D’autre part, il y a les flexi-jobs. Ce sont des personnes qui choisissent délibérément l’horeca. Parce qu’ils peuvent combiner leur flexi-job avec leur autre emploi, parce qu’ils ont vraiment besoin d’argent et parce que le travail leur plaît et leur apporte satisfaction. Mais cet apport diminue depuis que la formule a été étendue à d’autres secteurs. »

 

GFS : Est-il envisageable de réduire le personnel ?


Paul Snoeys : « C’est déjà le cas, par pure nécessité. Certains établissements horeca réduisent leurs heures d’ouverture et optent même pour un ou deux jours de fermeture. C’est un moyen efficace de réduire les coûts et d’offrir au personnel un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Une organisation plus efficace de l’aspect opérationnel peut également contribuer à réduire les besoins de main-d’œuvre. Mais il faut veiller à ce que le personnel soit toujours en nombre suffisant pour garantir un service de qualité. Car c’est un facteur important pour préserver l’avenir de l’établissement. Je ne crois absolument pas à un futur dominé par la robotique. Un établissement où le service est assuré par un robot ou où tout se fait par informatique pourrait bien tourner pendant un certain temps, parce que cela reste une “expérience” que l’on veut vivre. Mais si tout le secteur fonctionne de cette manière, la spécificité disparaît. Le contact social avec les serveurs, le sentiment d’être “mis dans l’ouate”, les explications qui accompagnent les repas, la discussion avec les gens derrière le comptoir quand on va prendre un verre... : ce sont autant de besoins cruciaux qui poussent les consommateurs à se rendre au café ou au restaurant. »

 

GFS : Quelles sont les réglementations qui pèsent sur marges ?


Paul Snoeys : « Ces dix dernières années, nous avons été inondés de nouvelles règles qui exigent des investissements supplémentaires et/ou font fuir certains clients. Le plus frustrant est qu’elles ne sont pas toujours bien pensées. Prenez la proposition d’interdire le chauffage en terrasses à Bruxelles pour des raisons écologiques. La politique prive ainsi l’horeca d’une partie de sa spécificité dans la capitale, car combien de personnes ne restent pas en terrasse en hiver pour consommer quelque chose ? L’interdiction de fumer sur les terrasses est encore pire. Bon, c’est une directive européenne à laquelle nous devrons nous conformer tôt ou tard. Mais nous demandons d’attendre un peu sa mise en application afin que nous puissions remédier à ses lacunes et autres éléments irréalisables. Par exemple, nous pensons que les sanctions ne devraient jamais incomber aux exploitants des établissements. Il existe de nombreux cafés populaires dont les fumeurs représentent la moitié de la clientèle. Cette règle est également absurde parce que s’il est interdit de fumer sur les terrasses situées dans l’espace public, il est permis de fumer sur un banc situé à côté. D’ailleurs, les clients vont simplement à fumer 10 mètres plus loin, ce qui peut créer des nuisances pour les voisins. Ne serait-il pas plus simple de laisser à l’horeca le choix d’accueillir ou non les fumeurs sur leurs terrasses ? L’introduction d’une tolérance zéro pour la consommation d’alcool est un autre exemple. Nous reconnaissons parfaitement que l’alcool et la conduite ne font pas bon ménage. Mais laissez quand même les gens boire un verre de vin quand ils prennent un long repas. Car c’est précisément ce qui fera que beaucoup opteront pour un traiteur ou une livraison. Il est vraiment frustrant de se heurter sans cesse à de tels murs. »

 

GFS : Y a-t-il d’autres frustrations sur le plan législatif ?


Paul Snoeys : « Peut-être trop pour la bonne santé du secteur. De nombreuses nouvelles règles exigent ainsi des investissements. Puis la politique change d’avis après quelques années et ces dépenses ont été faites pour rien. Envisager la mise en place d’une zone fumeurs. Une autre frustration majeure est que toutes les règles ne s’appliquent pas à tout le monde, ce qui crée une concurrence déloyale.


Le meilleur exemple en est la caisse blanche, qui n’est obligatoire que pour les entreprises qui réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 25.000 euros (hors TVA) sur l’alimentation consommée sur place : les bars “pop-up” et autres événements locaux ne sont donc pas concernés, ce qui est injuste. Et ces initiatives bénéficient parfois d’avantages supplémentaires. Par exemple, je connais une ville où des bars à genièvre s’installent sur le marché en hiver alors que les établissements horeca environnants n’ont pas le droit d’en servir. N’est-ce pas complètement absurde ?


Enfin, il y a le régime de TVA aussi confus qu’injuste : 6% pour les plats à emporter, 12% pour les aliments consommés sur place et 21% pour toutes les boissons. Cela peut conduire à des pratiques déloyales, avec par exemple l’application “accidentelle” d’un taux de TVA incorrect. Nous plaidons donc pour une plus grande uniformité : 6% pour tout ce qui est à emporter et 12% pour tout ce qui est consommé sur place, à l’exception des boissons alcoolisées qui resteraient à 21%. Cela apportera de la clarté pour tout le monde et donnera à notre secteur un peu de cet oxygène dont elle a tant besoin. »

 

GFS : Existe-t-il des solutions aux défis que vous avez énumérés ?


Paul Snoeys : « Aujourd’hui, la clé de la réussite réside dans la maîtrise des coûts. C’est la raison pour laquelle il peut être intéressant de réduire la carte pour continuer à proposer de la qualité à un prix équitable. On observe également une tendance à des concepts fast-casual, avec des préparations simples et des ingrédients à faible coût, comme les sushis, les hamburgers, les cuisines internationales de pays moins chers... Les chaînes qui se centralisent autour d’une ou de quelques cuisines centrales semblent également tirer leur épingle du jeu. Les dark-kitchens et le take-away permettent également de réaliser des économies. Ces formules sont particulièrement populaires auprès des jeunes, et leur poids dans le paysage de l’horeca ne va dès lors que s’accroître. Par ailleurs, j’ai déjà parlé de la réduction des heures d’ouverture. Nous constatons également que les plus petites surfaces sont en augmentation. Les petits établissements où les propriétaires font tout eux-mêmes ou avec un personnel très limité sont souvent en mesure de mieux contrôler leurs coûts. »

 

GFS : Horeca Vlaanderen planche-t-elle également sur des solutions ?


Paul Snoeys : « C’est un peu notre raison d’être : nous représentons l’ensemble du secteur, et pas seulement nos membres. Notre travail consiste à apporter des solutions, et nous le faisons notamment en dispensant des formations par l’intermédiaire de notre Horeca Academy. Nous sommes également actifs en tant que lobbyistes et avec les avis que nous rendons auprès de divers gouvernements.


Avant les élections par exemple, nous avons soumis six points d’action aux présidents de partis lors de notre événement “Kaarten op tafel”, et quatre de ces points ont été réalisés. Tout d’abord, le quota d’heures autorisées pour les étudiants jobistes a été porté à 650 heures par an. En outre, nous avons obtenu un relèvement du plafond des revenus supplémentaires exonérés d’impôt à 18.000 euros par an dans le cadre des flexi-jobs. Les heures supplémentaires brutes/nettes ont également été portées à 450, à condition cependant que l’établissement utilise une caisse blanche.


Mais notre principal motif de fierté est l’accord qui rend la caisse blanche obligatoire pour tous les établissements horeca au 1er janvier 2026 et l’étend à d’autres secteurs. Il s’agit d’un pas important vers cette harmonisation des conditions de concurrence que nous, Horeca Vlaanderen, demandons depuis longtemps. En outre, nous avons récemment cosigné un nouveau code de conduite pour les contrats obligatoires avec les brasseurs et les contrats de bail/achat qui y sont associés. »

 

GFS : Des différences régionales sont-elles perceptibles dans le comportement des consommateurs ?


Paul Snoeys : « Il est certain que dans les villes, les repas “sur le pouce” sont souvent consommés tout au long de l’année – et pendant une bonne partie de la journée. Les citadins y sont également plus susceptibles de se rendre dans un café ou d’aller boire un verre en terrasse. À la campagne, on considère beaucoup plus le restaurant comme une sortie à part entière : on y va surtout les vendredis et samedis soirs, mais en privilégiant une véritable expérience gastronomique. Les saisons et la météo y jouent également un rôle beaucoup plus important que dans les villes : on note de grandes différences de comportements entre l’hiver et l’été. »

 

GFS : Observez-vous également une évolution dans le comportement des jeunes ?


Paul Snoeys : « Très clairement. Les jeunes sortent différemment qu’il y a 30 ans. Par exemple, ils préfèrent un ou deux cocktails à une dizaine de pintes. Ils veillent à manger sain, mais ils veulent aussi de la rapidité, de la variété, de l’expérience... le tout à un prix très compétitif. D’ailleurs, les jeunes sont plus critiques et se tournent plus souvent vers les réseaux sociaux pour guider leurs choix... »

 

GFS : Quel est l’impact des commentaires en ligne et des réseaux sociaux sur le secteur ?


Paul Snoeys : « Les évaluations publiées sur des sites comme Google et TripAdvisor sont cruciales. Le secteur est soumis à une évaluation publique constante qui pèse très lourd. Le problème est que les clients satisfaits se font rarement entendre sur ces canaux, alors que la moindre erreur est sanctionnée. Il est donc important que les établissements continuent d’investir dans un personnel motivé et de qualité. Mais je ne veux pas brosser un tableau totalement négatif : les réseaux sociaux sont également porteurs d’opportunités. Ceux qui s’y prennent bien peuvent y promouvoir leur établissement de manière fantastique avec un très petit budget. »

 

GFS : À quoi ressemblera l’horeca du futur ?


Paul Snoeys : « Beaucoup pensent que le fast-casual et les plats à emporter sont l’avenir, mais je ne suis pas totalement convaincu. Il y aura toujours une place pour les brasseries et les cafés traditionnels. Mais les exploitants devront se réinventer. D’abord pour contrôler leurs coûts, mais aussi pour ajouter un aspect “expérience” à leur établissement. Car il deviendra de plus en plus important d’offrir une expérience pour attirer les clients.


En outre, l’ambiance, le service, la qualité et le prix seront primordiaux pour consolider l’établissement. Mais le nombre d’établissements horeca est voué à diminuer. Nous espérons juste que les “cow-boys” qui bafouent les règles et/ou se livrent à des opérations de blanchiment disparaîtront en premiers. Parce que Horeca Vlaanderen veut continuer à se battre pour un secteur horeca sain et durable avec des entrepreneurs honnêtes... »

 


L'horeca en chiffres


Nombre d’établissements horeca :

± 35 000 en Flandre ± 65 000 dans toute la Belgique

Sous-secteurs (sur la base de la liste des membres de Horeca Vlaanderen) :

  • Restauration : 68%

  • Débits de boisson : 17%

  • Hôtels : 13%

  • Autres : 2%

 

L’horeca flamand est ultradominé par les PME : 90% des établissement n’emploient pas plus cinq personnes.


Les flexi-jobs sont particulièrement populaires : La Flandre concentre 90% des flexi-jobs, le reste étant réparti entre Bruxelles et la Wallonie.



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