Dimitri Vander Heyden (Domaine W) : « Les restaurants gastronomiques sont nos ambassadeurs »
- François Remy
- 2 juil.
- 6 min de lecture
Dans l’immense paysage viticole, une pépite belge brille de plus en plus, le Domaine W. Depuis leur « oasis » tubizien, sur les terres de la ferme familiale cultivées en biodynamie, Sophie Wautier et Dimitri Vander Heyden y produisent un crémant de Wallonie remarqué. Et même primé, à de multiples reprises. Un modèle de vignoble sans pareil que les fondateurs rêvent de voir « modestement mais vertueusement » essaimer en Europe. Entretien.

40.000 bouteilles par an, 1800 membres-investisseurs actifs dont 300 entreprises, 17 restaurants étoilés, 1ère wine bank de Belgique, 2 cofondateurs heureux, 0 herbicide ou insecticide… L’inventaire se montre déjà prodigieux alors qu’il n’est même pas exhaustif. Cela résume un peu l’esprit de modeste excellence qui se dégage dans ce corps de ferme modernisé, dressé sur le chemin des vignes à Tubize.
Le Domaine W nous accueille sans que personne ne rappelle que son blanc de blanc a récemment été sacré meilleur Chardonnay du monde. Des lettres de noblesses supplémentaires pour ce « jeune » crémant de Wallonie, comme le veut l’appellation d’origine protégée, qui ne souffre pas de la comparaison avec les grandes références de France, d’Espagne ou d’Italie.
Inspiré notamment par l'adage « il n’y a pas de réussite économique sans réussite sociale », appris des lèvres d’un ancien PDG de Danone, où il a gravi les échelons pendant quinze ans depuis les rayons jusqu’au poste de Country manager pour l’Autriche et la Slovénie, Dimitri Vander Heyden nous explique avec une simplicité naturelle la mission que sa femme Sophie et lui poursuivent depuis 2016 : réinventer la viticulture. Rien que ça.
« On est en train de prouver qu'une autre viticulture est possible »
Le secteur viticole belge a connu une évolution remarquable au cours des dernières années. Le volume de production a dépassé pour la première fois en 2022 les 3 millions de litres, dont près de la moitié était du vin effervescent. En parallèle, le nombre de vignerons belges n’a cessé de croître. L’année dernière, le pays dénombrait 321 enregistrés, professionnels et amateurs passionnés inclus. Ces acteurs exploitent une surface plantée de près de 1000 hectares (958 ha), avec une prédominance de cépages dédiés aux vins effervescents, produits dans plus d’une centaine de domaines.
Pour se distinguer, Dimitri et Sophie développent le « modèle W », une viticulture innovante au service de la qualité et de la durabilité. Un défi de taille en soi, que les cofondateurs n’ont pas hésité à intensifier en s’imposant le cahier de charges le plus strict : la biodynamie certifiée Demeter. Zéro herbicide ou insecticide, plantation de plus de 1000 arbres, installation de ruches, cultures de prairies fleuries pour attirer les auxiliaires de la vigne, production de biomasse (miscanthus) pour une autonomie énergétique, effeuillage et vendanges à la main, chevaux de trait pour ne pas tasser les sols…
Encore fallait-il que de ces louables efforts découlent un produit qualitatif et qu’un modèle commercial lui aussi durable émerge. Le producteur du Brut de Brabant a alors mis au point une stratégie centrée sur une « expérience unique », au travers de canaux de vente directe et exclusive. Entretien avec le managing director du Domaine W, Dimitri Vander Heyden.
Gondola Foodservice - Une viticulture respectueuse de la terre et des hommes, un modèle économique porté par des membres engagés, on récolte forcément ce que l’on sème. Vous, c’est manifestement le succès. Et les restaurants gastronomiques jouent un rôle particulier dans ce succès du Domaine W ?
Dimitri Vander Heyden - Le modèle n'est pas encore parfait. (rires) Mais on démontre qu’il est possible de le faire sans agents chimiques, en faisant revivre les sols et offrant des produits ultra qualitatifs. Ce n'est pas nous qui l’affirmons, ce sont des dégustations à l'aveugle. Et, effectivement, les restaurants gastronomiques sont importants. Ils représentent 50% de notre chiffre d’affaires. Et eux, pour le coup, c’est leur boulot de goûter et on n'est pas bon marché. Donc s'ils nous mettent à la coupe chez eux, ce n’est pas parce qu'on n'est pas cher, c'est parce que le produit derrière tient ses promesses.
Puis, ils viennent faire les vendanges avec nous. Là on avait dernièrement toute l’équipe du Comme chez soi qui est venue travailler. Ils ont participé à tout, ils ont pressé avec nous et presser c'est physique.
- Il n'y a pas de meilleur moyen d'être aux premières loges de la fabrication.
Évidemment. Et, en fait, on a créé un lien particulier avec les sommeliers car on s'est rendu compte qu’ils ne connaissaient pas parfaitement l’envers du décor. Ils maîtrisent les appellations, ils possèdent un palais ultra développé, etc. mais en revanche la production du vin, c’est très peu présent dans leur formation. Pour eux, le fait de faire des vendanges, d'utiliser le pressoir, de goûter aussi les vins à différents niveaux du processus : les vins de base qui viennent d'être fermentés, puis les vins en refermentation dans des bouteilles couchées sur des lattes, puis le vin fini dégorgé avec des dosages différents…
Quelque part, ils se forment aussi avec nous et comprennent toute la plus-value qu'a notre produit. Parce que quand il voit les vendanges, qu'il voit que c'est un pari, c’est soigneux, que c'est à la main, que c'est délicat, que le pressurage est lent, qu'il est doux, qu'il met du temps. Que ce qu'ils ont pressé là avant, en fait, ça ne sera commercialisé que 3 ans plus tard dans leur resto. Et qu’ils voient qu'il y a aucun produit rajouté. À ce moment-là, tu crées plus que des clients, tu crées des ambassadeurs.
- Des ambassadeurs capables de mettre le prix pour un produit spécifique ?
Oui, nous nous sommes concentrés plutôt sur la haute gastronomie car, évidemment, ces clients sont capables de payer le prix pour du produit de qualité. Mais aussi, parce qu’ils s'y retrouvent, ils sont aussi gagnants dans l’équation. Ces restaurants peuvent proposer un produit qu'on ne retrouve nulle part ailleurs. Notre produit n'est pas présent chez le caviste, donc cela crée vraiment quelque chose d'unique.
Forcément, lorsqu’un sommelier dans un restaurant gastronomique vous propose « une petite pépite belge, en crémant de Wallonie, en biodynamie, et cetera » aux côtés de champagnes haut de gamme, c'est intéressant l’expérience que cela crée. Parce que les restaurants peuvent offrir cette expérience un peu exclusive à leurs clients, qui préfèrent peut-être ne pas regoûter le même champagne pour la xième fois. Ils recherchent cette sophistication, surtout avec ce qu'ils ont à table.
- Le coût du pari et le bénéfice de l’originalité ?
Voilà. Avec un rapport qualité-prix intéressant aussi. Pourtant, on pourrait dire qu’on est cher. Mais un champagne en biodynamie aujourd'hui, c'est 50 euros la bouteille. Nous, le prix est à 37 €, c'est cher en soi mais c'est quand même moins cher que pour le champagne. Si on regarde le niveau qualité aujourd'hui en supermarché, une bouteille de champagne c'est 30, 35 €. Mais, rien qu’en Champagne, sont produites 200 millions de bouteilles. Les Belges restent parmi les plus gros consommateurs au monde par tête d'habitants. Mais le marché du champagne commence à souffrir. La Belgique a acheminé un peu moins de 8 millions de bouteilles l’année dernière. Dans les marchés du vin, les crémants restent en croissance. Avec un consommateur qui adore les bulles, et dans un segment de marché qui est en croissance, on a l’impression de naviguer en « Blue Ocean ».
- Mais pas de Brut de Brabant en magasin, vous réservez vos bouteilles exclusivement aux membres de votre wine club, pour rémunérer leurs investissements en nature. Et puis, chasse gardée pour vos clients gastronomiques ?
Précisément. Nous travaillons en direct avec les restaurants gastronomiques, c’est un luxe. Ça nous permet de limiter, on va dire, la perte de marge et on réussit à leur fournir un prix comparable à un grand champagne parce que derrière il n'y a pas d’intermédiaire, pas de grossiste qui ponctionnerait 20, 30%. Mais nous serons surtout compétitifs sur le côté expérience. Pour nous, quand on rentre dans un resto, ce qui est encore plus intéressant, c'est que souvent les sommeliers changent et vont dans une nouvelle maison. Et ils nous réintroduisent dans un nouveau restaurant. C’est un peu le joker. Alors que l'ancien établissement nous garde, de nouveaux consommateurs peuvent nous découvrir. Pour l'instant, notre commercialisation se déroule uniquement de cette façon.
- Une autre viticulture est donc faisable et rentable. Comment on change le monde à partir d’une petite exploitation wallonne ?
C’est le nouveau chapitre de notre vision à dix ans max, comment essaimer notre modèle. On ne veut pas tomber dans une vision de croissance infinie. Par contre, on se rend à l’évidence qu’aujourd'hui on a 40 hectares de terre, là-dessus il y a 8 hectares de vignes. Philosophiquement, techniquement, c’est bien notre oasis comme on l’appelle ici. Mais comment soutenir l'essaimage de ce modèle ? En Belgique, mais surtout ailleurs. On voudrait que notre modèle inspire d’autres acteurs, qu’ils le reprennent, l’améliorent, l’adaptent à leur réalité, et le répliquent. Et que d’autres le répliquent encore, et ainsi de suite.
On a la force d’avoir une communauté extrêmement engagée et large -1800 membres fidèles et impliqués- qui nous permet de financer tout ça. Et qui nous permet aujourd'hui d’avoir des Français viennent nous voir, des Champenois. Fini le temps où on demandait « Est-ce qu'on sait faire du champagne en Belgique ? ». La réponse est oui, on sait même faire du meilleur champagne que la plupart des champagnes. On ne pourra pas battre les grandes maisons de Champagne, en tout cas pas tout de suite.